5-1: monstre trois: LAFUMA





Sortant de l’école où je suis venu chercher mon fils, se démarquant distinctement de ses petits camarades par son allure et sa silhouette, un enfant hideux court vers nous, les parents rassemblés devant le portail, assez vite malgré le cartable trop lourd de marque française LAFUMA – fabricant français pionnier du matériel de sport en plein air – qui lui fait sur le dos comme une bosse gigantesque et invalidante ; son nez, ne puis-je m’empêcher de noter, ne se situe pas au milieu de sa figure, ainsi qu'il est commun, mais bel et bien en lieu et place de l’œil droit, ce qui produit sur moi un effet proprement révulsif – et si l’on ajoute à cela le fait que, reconnaissant son père (parfaitement normal, lui, dans le genre italien : chaussures bicolores, pantalon gris rayé, veste de costard élimé juste ce qu’il faut, cheveux plaqués au crâne par la brillantine, allumette au coin des lèvres signalant qu’il tente de s’affranchir d’une addiction au tabac), ledit enfant ouvre, pour sourire, une bouche qui ne contient aucune dent, mais des parodies de dents entièrement dépourvues d’hydroxyapatite – ce minéral dont se compose d’ordinaire les dents – qui font penser à de petits doigts boudinés et disgracieux davantage qu’à des dents, à de minuscules doigts grossiers d’obèse ordonnés en deux obscènes double rangées, alors on comprendra bien le pas en arrière que je fis, et ma répugnance, et mon alarme : fallait-il, vraiment, qu’on autorisât cette créature abjecte, cette caricature d’écolier, à fréquenter le même établissement scolaire (groupe scolaire « Louis Pasteur ») que mon fils ? Était-il dieu permis que mon fils apprît le calcul, le dessin, la géométrie, la flûte à bec et les tables multiplicatrices en compagnie de cette aberration pseudo-humaine ? Et comment se pouvait-il, de nos jours, avec les progrès effarants de la médecine moderne et le développement et la sophistication de l’emploi des ondes à des fins de détection des anomalies, qu’on laissât sortir un être à ce point taré d’un ventre de femme ? Enfin, surtout, que penser de cet homme, le père, avec ses manières et sa vêture de mafioso, qui au moment où je vous parle laissait son fils lui sauter dans le bras comme le ferait n’importe quel père avec n’importe quel fils ? Ne devait-on pas le taxer, cet homme, de criminel? Ou au moins de déviant ? Car à quoi tout cela rimait-il ? Tout ce cirque ? Dans quel but avait-il pu tolérer que sa progéniture dégénérée croisse jusqu’à atteindre, à vue de nez, l’âge de mon propre fils (une huitaine d’année), sinon dans le but narcissico-sadique suivant : afin de posséder, près de lui, sous le coude, pour le restant de sa vie, une façon de copie-monstre de lui-même, sorte d’affreux faire-valoir filial vers lequel se retourner quand, écœuré de son propre déclin physique, il ressentirait le besoin de voir quelque chose qui lui ressemble, air de famille oblige, mais en toujours plus atroce ?