8-2: Le chat est une particule 4




Evidemment le chat n’est pas un chat. Tout le monde l’avait compris. A cause du titre.

Le chat est une particule.

C’est-à-dire que : dans l’expérience du chat dans la boîte, pendant les trois minutes où l’on ne sait pas si le chat est mort ou vivant, où il y a du coup cinquante % de chances qu’il soit en parfaite santé et cinquante % de chances qu’il soit désintégré (si vous avez opté pour la dynamite) ou dissous (si vous avez opté pour l’acide), le chat est à la fois mort et vivant, donc zombie, il existe à la façon d’une particule quantique, on ne peut pas dire qu’il est l’un ou l’autre, mort ou vif, on est obligés d’admettre avec une petite grimace et une sensation d’abstrait dans le creux de la nuque qu’il est les deux à la fois, que ce chat se trouve entre chien et loup, coincé dans une manière de pénombre existentielle qu’on pourrait appeler aussi brouillard probabiliste ou brume quantique – et c’est cela qu’on appelle un état de superposition.

Mais : au moment où on ouvre la boîte qui est aussi le moment où on va regarder dans la boîte, le chat/particule va rejoindre un état ou un autre. Soit chat-qui-ronronne. Soit chat-qui-n’est-plus, souvenir-de-chat, chat-dont-il-ne-reste-qu’une-touffe-de-poil-roussie-parce-que-vous-avez-utilisé-de-la-dynamite, ou chat-dont-il-ne-reste-qu’une-vague-trace-organique-au-fond-de-la-boîte-parce-que-vous-avez-utilisé-de-l’acide.

Et les physiciens quantiques orthodoxes, qui sont des gens raisonnables, vont expliquer le phénomène ainsi : c’est le fait de regarder dans quel état se trouve le chat qui fait passer le chat d’un état à un autre. Tant qu’on n’a pas vu, tant qu’on ne connaît pas le résultat, le chat vivant est aussi possible que le chat mort. C’est en mesurant le résultat de notre expérience scientifique du chat dans la boîte qu’on détermine l’état du chat, qu’on le rend certain, qu’on met fin à son ambiguïté existentielle de chat zombie.

Voilà pour les explications raisonnables. Mais ces explications raisonnables – les explications des physiciens quantiques qui en tiennent pour l’interprétation dite orthodoxe de la physique quantique, également nommée interprétation de Copenhague à cause que elle a été inventée par entre autres un Danois*, ne résolvent pas tout – il y a encore des tas de points qui demeurent problématiques comme par exemple : si regarder le chat le fait passer d’un état à un autre est-ce que ça marche aussi lorsque quelque chose d’autre que nous regarde le chat, quelque chose comme une petite bestiole sans trop de cerveau par exemple disons n’importe quoi au hasard, disons une mouche, si une mouche regarde le chat est-ce qu’elle le fait passer aussi d’un état à un autre, ou est-ce que c’est de savoir, de comprendre que le chat est mort qui le rend mort, est-ce que c’est notre conscience de la situation le-petit-chat-est-mort-dans-la-boîte qui crée cette situation, qui tue le chat ? Et peut-on dire du coup que c’est en découvrant le chat-mort que nous tuons le chat ?

Ce qui revient à pointer du doigt un souci : pourquoi la mesure d’une particule-chat quantique déterminerait-elle sa position/son état ? Qu’est-ce qui se passe vraiment quand on observe une particule quantique ou qu’on ouvre une boîte avec un chat mort-vivant à l’intérieur ? Est-ce qu’on modifie l’univers chaque fois qu’on le regarde un peu sérieusement ? Qu’est-ce qu’il y a au juste dans un regard/dans une mesure qui puisse changer la configuration du cosmos ? Est-ce que ça marche avec un regard d’insecte ou avec un regard de petite fille de quatre ans et demi ou avec un regard qui serait moins qu’un regard, est-ce que ça marche avec une molécule qui se baladerait juste là à ce moment au-dessus de la boîte contenant le chat et déciderait d’y fourrer son petit œil-pas-vraiment-œil de molécule ?

C’est ce souci, l’existence de ce souci dans l’interprétation danoise de la physique quantique qui laisse de la place à l’incrédulité, à la contestation, à la dissidence ; et c’est dans cet espace laissé libre que les physiciens quantiques hétérodoxes – ceux dont le flegme reptilien gâcha les derniers moments de votre existence – vont s’engouffrer.



*Niels Bohr : 1885-1962. Avait une sœur qui s’appelait Jenny. N’obtiendra de sa femme Margrethe que des garçons (six), dont un que – sur un coup de folie – ils décideront de prénommer Aage. Connut Einstein avec qui il se disputa pas mal, au point que Einstein, excédé,  lui lança un jour « Dieu ne joue pas aux dés ! » à quoi Niels répondit « Qui êtes-vous Einstein ? » ce qui coupa son sifflet à Einstein. Sur la lune, il existe une vallée qui s’appelle Bohr (Vallis Bohr). En son honneur.